l'atelier de Michel Ogier artiste peintre maniériste et visionnaire

Élève spirituel du peintre Leonor Fini, de l'écrivain Emil Cioran, du poète Georges Brassens et du scientifique Henri Laborit, Michel Ogier réalise méticuleusement des œuvres allégoriques en pratiquant l'art délicat du glacis et celui du clair-obscur. Magicien de la couleur et de la lumière, il interroge car son monde imaginaire est créateur. Lucide sur l'existence, il interroge car sa réflexion nous laisse entrevoir une vérité aussi lumineuse qu'insoutenable : la condition d'être humain !

5.4.25

La fuite, papier huilé, 39x30cm

La fuite, papier huilé, 39x30cm
 

Publié par michelogier à 16:04
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Pays/territoire : 1 Rue du Fortin, 34300 Agde, France
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Atelier de la Conque - 1, rue du Fortin - Cap d'Agde 34300

Atelier de la Conque - 1, rue du Fortin - Cap d'Agde 34300
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ENTRETIEN AVEC SOI-MÊME

A notre époque où l’art est intimement lié au ressac politique et social, vous persistez dans une expression onirique en total décalage avec les graves problèmes de notre temps. Est-ce un choix délibéré ?


Que l’art dénonce les scandaleuses injustices de ce monde, c’est tout à son honneur, mais j’ose imaginer que sa nature véritable est moins journalistique que métaphysique. On ne peut s’arrêter aux maladies de l’arbre généalogique humain, on se doit de descendre jusqu’à ses racines, là où s’opère la transmutation afin que l’on puisse se nourrir de la structure psychique de l’Univers.

En bref, il y a moins de chance que l’on m’aperçoive brandissant une pancarte entre Opéra et Bastille que pieds nus dans les rhododendrons du mont Parnasse à interroger les muses… Dès qu’Apollon pose sa lyre d’or pour rejoindre son belvédère, j’en profite pour interpeller Calliope, Uranie, Euterpe et les autres. Je les interroge sur notre chute dans le temps, notre émergence du néant dans cette extravagante et douloureuse comédie... C’est ça ma peinture, un long et persistant questionnement. Une prière hurlée silencieusement aux oreilles de l’infini.


Où vous situez-vous ? Quelle place occupez-vous au sein du monde artistique ?


Pour schématiser, dans le monde idyllique de l’art où chaque ego suractivé tourne sur lui-même à la vitesse des ténèbres, il existe deux sortes d’individus… Ceux qui, artistes impénitents, traquent, harcèlent et capturent l’imaginaire sauvage puis le restituent sous forme de chef-d’œuvre parfaitement maîtrisé, dompté, souvent plié à l’autorité, parfois même équarri, et ceux qui, plus incertains, incapables de prédation se contentent d’attendre, de laisser venir la terrible et fascinante entité chimérique, espérant l’apprivoiser du bout de leur pinceau qu’ils prennent pour leur âme. Aventurier ingénu de l’intime et du secret des choses, ma démarche s’apparente davantage à ce deuxième processus.


Peindre, c’est quoi ?


Un tour de passe-passe. Sur une surface blanche apparaissent des formes et des couleurs qui, quelques instants auparavant, dormaient encore sous votre chapeau…


Que demandez-vous à une œuvre ?


La technique minimum nécessaire à son édification, même si elle est le dernier des soucis de l’immense armada de virtuoses qui sont sur le point d’exposer avant même d’avoir peint et qui se congratulent déjà de leur génie en piétinant allègrement la tombe désaffectée de la dérisoire authenticité…

Si dans ce monde, reconnaissons-le, le tragique tient la première place, le comique la lui dispute âprement…

Pour ma part, je continue à nourrir l’illusoire idée que moins une œuvre aura été pensée, moins elle aura été assujettie à l’analyse, à une nécessité financière, aux raisonnements, aux jugements, à une reconnaissance officielle… et plus elle illuminera de sa propre vérité. Je veux croire encore, de toutes mes misérables forces, que ce n’est pas le faux, le factice, le falsifié qui apportera un peu de lumière dans la pénombre de nos vies… Mais je me garderai bien – en la matière et en toutes autres – d’affirmer quoi que ce soit !


Comment s’élaborent vos œuvres ?


Je dirais presque à mon insu. Quand le hasard rejoint la nécessité.

Par une grâce inouïe, le début et toute la première partie de l’exécution s’élaborent dans le vide, sans pensée ni réflexion. Mon pinceau, exubérant de permissivité, va au gré des flots vers des rivages ignorés. J’ai ainsi l’illusoire impression de liberté que l’on ressent lorsque l’on cesse de désirer. Un trait, une touche, appellent d’autres traits, d’autres touches puis d’autres encore et encore. Je vais ainsi au gré d’un mystérieux destin vers une imagerie formelle. Je suis souvent le premier étonné de ces naissances insolites. Elles sortent d’un territoire non répertorié dans l’encyclopédie de ma conscience. Si dans mon cerveau en ébullition des milliers d’images précèdent l’instant fatidique où je me retrouve seul devant la toile blanche, toutes disparaissent à la seconde même où commence l’alchimie créatrice. Il me semble avoir tout oublié de mes campagnes passées. Pas d’essais. Pas d’entraînement. Pas de modèles. Je dois piocher dans les images imprimées sur les pages envolées de ma mémoire… Presque pas d’innovations matérielles depuis bientôt trente cinq ans. Dessins à la mine de plomb et huiles sur toile. C’est tout !

Le flacon au flacon se ressemble, seul son contenu m’importe.

Dans cette aventure, au fil de l’eau de là, on tremble comme un saule. Toutes nos idées préconçues, nos jugements de valeurs qui constituent notre inébranlable logique, éructent tant et plus… La vieille machine grince, crisse, renâcle sous l’effroi de l’indéterminé, la crainte de l’étranger, le vertige de l’illimité. Pour un bref instant nous sommes dans la confidence des Dieux. On parvient à leur arracher quelques aveux, du moins le pensons-nous…

Puis, telle une comète, la révélation passe… Peut-être que nos croyances, nos habitudes mentales, notre foi cirrhosée ne pourraient supporter plus longtemps cette invraisemblable ivresse ?

C’est la mort dans l’âme chevillée au corps qu’il nous faut revenir sur le plancher des vaches maigres du prosaïsme temporel. Nous y retrouvons nos rassurants repères dans l’étable où nous fûmes sevrés, proches des abattoirs où nous serons consommés. On se réapproprie nos dogmes familiers, l’horizon de nos paupières closes et notre libre arbitre qui se résume à brouter dans le périmètre du cercle autour du piquet culturel auquel nous sommes attachés… Il est vrai que livrés à l’infinitude de nous-mêmes nous n’aurions, de survivre, pas plus de chance que Blanchette n’en aurait d’échapper au loup…

Cependant, dans la deuxième partie de la réalisation, au fur et à mesure que l’œuvre s’avance vers son achèvement, le mental et la technique (des glacis successifs élaborés au fil du temps), reprennent la barre laissée aux caprices de l’aventureuse poésie. L’intellect a tôt fait de récupérer la spirituelle subversion à son profit… Il habille très vite la nudité de l’intruse vérité. On sent bien que notre cerveau suit un strict protocole, celui de l’apprentissage transmis de génération en génération… Il rattache ces fortuites et subtiles révélations à ce qu’il sait ou croit savoir du monde, à ses expériences connues. Il ne peut s’en écarter, pas plus qu’un train ne peut quitter ses rails.

Malgré tout son talent, malgré tous ses efforts, l’intellect ne pourra prendre totalement possession de ces nouveaux espaces, même s’il tentera par tous les moyens de s’approprier les dépêches aurifères venues de ses antipodes. Il commencera par intituler la toile, puis rectifiera, modifiera quelques éléments allant dans le sens de sa cohérence… Mais qu’importe… A présent, pour que l’œuvre prenne vie, l’intuition et le raisonnement se tolèrent enfin… Mieux, les deux antagonistes se complètent…


Vos images, devant lesquelles on ne cesse de s’interroger, et qui, à priori, semblent à mille milles de nos préoccupations journalières, proviennent en fait de leur source…


Absolument ! Elles traitent du mouvement tellurique qui permet à l’eau de trouver son chemin jusqu’à la surface. Elles traitent de l’incommensurable beauté du jardin sidéral qui a l’impudente audace de frayer au grand jour avec les nuits effroyables de l’abjection humaine, tout en ayant l’extrême bienveillance de nous consoler de nous-mêmes. La beauté absout. Elle agit comme si elle était sûre que, tôt ou tard, on revienne en son sein.

Mes personnages sont des stylites, immobiles et silencieux, qui en chacun de nous, perchés au sommet de notre intelligence, attendent d’apercevoir, avec une persistance un peu butée, l’horizon fluctuant de l’absolu… Tout le vivant, qu’il en soit conscient ou pas, me paraît tendre vers ce dont il est issu et auquel il est promis.


Devant la toile, ou tout autre représentation de l’imaginaire, que faire ? Que dire ? Que penser ?


Rien ! Rien à faire, rien à dire et, si c’est possible, oublier tout ce que l’on nous a enseigné : le beau, le laid, l’admissible, l’inadmissible. Faire fi des engouements du temps, des goûts officiels, des coutumes d’époque, des standards en vogue. Oublier la culture avec ses moules sarcophages dont on doit prendre la forme et suivre les normes en vigueur.

Devant une œuvre quelle qu’elle soit, il faut laisser sourdre de son enfance émerveillements et répugnances qui, croit-on, se livrent un duel exterminateur. Il n’en est rien, je pense. Il n’y a qu’à voir l’étrange complicité existante entre la genèse et le chaos pour comprendre que ce n’est qu’un combat d’apparat, un divertissement mythologique, une petite fantaisie manichéenne.

Lorsque quelque chose nous répugne, déclenche en nous nausée et dégoût ou, par son contraire, nous propulse dans les sphères de la bienheureuse appétence, il y a là, rassemblés, tous les symptômes de notre adhésion à la romance mortuaire de l’histoire…

Les tableaux n’ont besoin de personne pour livrer leurs secrets. Pas même du peintre lui-même largement dépassé par le mystère de l’opération. On s’entête souvent à vouloir expliquer mentalement des choses qui sont de l’ordre de l’intuition poétique.

Pour comprendre une œuvre, laissons-la nous émerveiller ou nous répugner et si nous ressentons attirance ou aversion à son égard, c’est qu’il existe entre elle et nous des informations que la raison et la logique ne peuvent nous transmettre ; de vagues réminiscences, d’anciens vestiges, nombre de traces émotives, de sensations effacées, d’images essentielles enfouies dans la corbeille de l’oubli, d’espérances ensevelies, de joies et de peines indicibles laissées en jachère, abandonnées à l’effacement ; toutes ces choses qui ont fait de nous ce que nous sommes… En créant, l’artiste se met et met le spectateur en disponibilité de révélations.


Qu’entendez-vous par « disponibilité de révélations ? »


Etre en disponibilité c’est faire le vide de ses pensées multiples et diverses qui nous écartèlent entre normalité et anormalité afin de laisser à l’illimité la possibilité de nous visiter, nous faire des confidences du ciel de notre lie. C’est ça la révélation, une possibilité autre, inconnaissable par la raison et la logique.

Elle gratte chaque jour à notre porte où nous avons inscrit en lettres capitales, « Complet ! »… Pas le moindre interstice pour le plus petit atome venant du bout du monde nous informer de la relativité des choses. Dans l’activité productrice et consommatrice de nos vies trépidantes, on ne fait jamais assez silence pour entendre l’imperceptible frémissement de l’infini. Il nous arrive aussi ténu que le rayonnement cosmologique. Cet écho persistant du big-bang qui, des milliards d’années plus tard vient nous parler de la genèse.


Les toiles du peintre seraient-elle des instantanés d’une longue et inépuisable révélation ?


En quelque sorte, l’art est une fuite… L’épanchement accidentel d’un songe éternel dans notre infinie errance.

L’expression artistique est la représentation, le show plus ou moins réussi de l’état intérieur de l’individu, la vulgarisation plus ou moins authentique du rêve fou de la lumière et, paradoxalement, de notre énigmatique attirance pour les ténèbres.

Elle est l’exquise et ludique propagation de l’écho imperceptible du secret originel... Sans pudeur elle expose, divulgue les désirs impérieux qui bouillonnent dans nos fissures cérébrales, dénude le sein de l’énigme, dévoile l’appétit monstrueux de l’ego ainsi que nos vœux pusillanimes, nos aspirations éthérées, notre ardeur animale, notre instinct biologique et cette faim sans fin d’absolu qui dévore notre humble appétit journalier. Elle révèle sans cesse ! Elle est le souffle constant de l’esprit ensemençant notre substance organique qui sans lui n’aura jamais la moindre chance de fleurir…

C’est en voulant titiller nos origines – dis-moi d’où tu viens, je te dirai qui tu es – que l’on prend conscience de son extrême indigence. Le plus dur, dans l’art, c’est d’accepter nos approximatives traductions, nos vagues croquis, nos maladroites ébauches de l’indicible création qui, pour un court laps de temps, se sont concrétisés dans ce que l’on appelle notre Moi….

En devenant savant, notre regard a suivi notre langage, il est devenu technique. Nous avons déjà expliqué l’impossible, on s’apprête à résoudre l’inconcevable et l’invraisemblable est déjà en équation… Pourtant, nous n’en savons pas plus sur le pourquoi et sur la destinée des choses vivantes… J’ai souvent l’impression étrange que plus on expliquera et plus le mystère s’épaissira.


A quoi reconnaît-on l’empreinte d’une révélation ?


L’empreinte est là, irréfutable, mais nos interprétations divergent quant à l’identification du phénomène. Peu importe ! Une chose est sûre, la révélation dévaste le Moi mégalomaniaque et nous précipite sans ménagement dans le vide, d’où parfois cette heureuse et momentanée sensation de voler. Elle rejoint houleusement l’immuable splendeur, la fangeuse grandeur et la sublime ignominie de ce qui est.


L’intuition poétique, qu’est-ce ?


L’intuition poétique est la part de nous-mêmes qui échappe à la rationalisation.

Elle seule a le pouvoir de réconcilier les forces divines et infernales qui se partagent les mondes. C’est notre « sésame ouvre-toi ». C’est elle qui cherche à s’immiscer dans nos vies de performances robotiques comme la lumière cherche à se glisser par les persiennes de nos chambres closes… C’est elle qui nous rend un peu de dignité en nous ouvrant les portes du doute régénérateur, ami intime de la tolérance et ennemi juré de l’effroyable certitude…


Pourquoi, effroyable certitude ?


Aucun génocide ne provient d’un sceptique. « Le sceptique, au grand désespoir du démon, est l’homme inutilisable par excellence. » (Cioran). La certitude d’avoir raison, de détenir la vérité, conduit inexorablement aux conflits. L’histoire humaine en est la triste preuve. Les convaincus sont hélas souvent vainqueurs…


Etes-vous encore un peu en relation avec le plancher des vaches ?

Trop ! Beaucoup trop encore… Je ne suis qu’en morceau… Il faut être en poussière pour être accepté dans la confrérie des étoiles, notre patrie d’origine. Il va me falloir lâcher encore du lest. Desserrer l’étau constricteur des derniers délices devenus inconsistants… Les offrir comme des perles de sang, comme le soleil nous offre des lambeaux de roses dans le jour finissant.

Si, à l’étoile filante, je devais faire un vœu, je lui demanderais de ne plus jamais revenir ici-bas. Plus jamais de chair et d’os. Que le berger de l’étoile me retienne prisonnier. Qu’il m’interdise à tout jamais l’héroïque tentation de vivre. Je ne veux plus gêner la prédation naturelle. Ne plus entraver sa marche triomphale, sa foi chevillée au porte-monnaie, aux nouvelles technologies, à la mondialisation des marchés. Je suis ici superflu, gênant, un poids mort incapable de missionner la religion planétaire de l’économie libérale qui s’insère si parfaitement dans l’ignominieuse loi de la nature… celle du plus fort.

Franchement je ne me vois pas revenir… Cette expérience m’aura servi de leçon. Ciao !

N’être plus rien, enfin. Qu’une idée se dissolvant dans l’éther du grand tout.


N’est-ce pas un peu triste ?


Que nenni ! L’incessante recherche du plaisir et l’harassant évitement de la douleur nous épuisent et brouillent notre vision. Bien au contraire, n’être plus rien ici bas (plus rien après ce n’est que trop évident), c’est l’exaltante apothéose. C’est la déification de l’ordinaire, l’éthération du quotidien, la sublimation de l’usuel et du quelconque. Elle nous hisse sur les cimes divines de l’Olympe. Enfin délabyrinthés, soustraits aux ignobles gémonies, enfin délivrés de notre instinct « prédator-copulator ». C’est le permis d’inhumer de nos inepties claironnantes, et vous trouvez ça triste ?

Certes, c’est la fin du plaisir mais avec lui c’est aussi l’abandon de la douleur.

Le bonheur, le malheur, la joie, la peine, l’amour, la haine renvoyés dos à dos… enfin ! Qu’ils ont pu nous empoisonner les méninges, ces concepts éculés ! Enfants posthumes, ils tuèrent leur père au paroxysme de l’orgasme et tentèrent d’établir leur loi. Je ne sais plus qui a dit : « Il nous faut vivre chaque seconde comme si elle était la dernière. » Je vis la dernière depuis la toute première qui, toujours pas au courant du changement d’horaire, fait des heures supplémentaires.

N’est-ce pas là une invitation à en finir prématurément ?


Bien au contraire. On ne peut partir pour le désert infini les outres et la besace vides. Avant, il nous faut faire le plein de vivre ! En vrai chameau que nous sommes, remplissons nos bosses jusqu’à satiété. Buvons et mangeons tout notre soûl d’aventures, de la terre de feu à la vallée de la mort, que ce soit dans la réalité physique ou dans celle de l’imaginaire… Exister jusqu’à la dernière extrémité. Ce serait dommage, après avoir supporté les infinies longueurs du spectacle, de rater l’apothéose, le bouquet final…

Voyez-vous, depuis longtemps, je crois même depuis le tout début, je prépare ce voyage au long cours. Dans ma soute cérébro-spinale, j’emporterai le souvenir des vagues, celui de la lune jouant dans la lagune, le soupir de l’innocence originelle qui perdure miraculeusement dans le regard fourbu de l’homme abandonné, la douceur de la nuit dans ma chevelure bouclée. Je cherche à partir les mains grandes ouvertes, le cœur battant de compassion dans un élan total et définitif vers l’illimité. Le nez empli des suaves effluves de la reine des prés, mes bras plus jamais ne se refermant, mon Je et mon Moi doucement se déliteront.

Dans le dédale gigantesque du macrocosme, je retrouverai facilement le chemin du retour grâce à cette poudre d’escampette dont j’ai abondamment parsemé mon itinéraire aller.


On dit déjà que vos dernières œuvres seraient moins corrosives, moins violentes que les précédentes ?

Peut-être suis-je la victime heureuse d’une lente érosion des apparences ?…


Ceux qui vous connaissent bien disent que vous faites tout pour échapper aux infamies et aux honneurs de notre bonne société?


Cioran, ce cher ami des Carpates, disait : « la société ne vous tolère que si vous êtes successivement servile et despotique. » Malheureusement pour elle et tant mieux pour moi… je ne corresponds à aucun de ses deux critères…

À part se faire voler dans les plumes, je me demande bien ce que pourrait espérer une tourterelle déplumée de mon acabit au pays des somptueux rapaces?

Non, je préfère roucouler presque incognito loin des saintes batailles et des bienheureux massacres. Chaque jour, un peu plus loin, il faut que je fuie notre époque et toutes les autres passées et à venir…


La fuite est-elle la solution ?

Chacun admet que cette vie, qu’il couvre d’innombrables qualificatifs élogieux, est une bataille de chaque instant. Vivre c’est guerroyer ! L’homme est un soldat qui se bat durement pour pouvoir rêver d’un concept émollient qu’il place au panthéon de ses valeurs morales, la paix. Etrange contradiction, vous en conviendrez.

N’ayant pas trouvé d’épée dans mon paquetage initial et souffrant d’une tendinite cérébrale due au port constant d’un lourd bouclier de protection, je suis obligé de déclarer forfait… Le pire c’est que je ne parviens pas à me blâmer d’une pareille lâcheté.


Comme certains visiteurs de votre galerie le laissent entendre, pensez-vous avoir du génie ?


Les génies influent sur la destinée humaine. Ils la pétrissent, la sculptent, l’élaborent, la préparent, la conceptualisent. Ils défrichent le futur comme je défriche mon jardin. Le génie s’active au périgée de la vérité alors que je me prélasse à son apoastre.

Sincèrement, pour cette céleste destinée, pour le progrès, pour la glorieuse et sublime patrie humaine, j’espère n’avoir pas trop d’influence sur les générations futures. Pour la pérennité de l’espèce, j’espère même en n’avoir aucune… Mais sur ce sujet, je n’ai guère d’inquiétudes…


Est-ce là un sublime orgueil ou une véritable humilité ?


« En ce qui concerne l’humilité, je ne crains personne ! »… Cette admirable réflexion n’est hélas pas de moi. On la doit à un moine Espagnol du XVIII ème siècle. Elle traduit bien la fatueuse ambition de l’homo sapiens qui ne peut aimer que son image… pauvre Narcisse…


Quel talent vous reconnaissez-vous ?


Celui que je partage avec sept autres milliards d’insectes colonisateurs. Celui qui consiste à se lever chaque matin et faire semblant d’y croire…


Vous pensez vraiment que chacun fait semblant d’y croire ?


En fait non, on croit faire semblant mais au bout du compte, on y croit dur comme fer. On cherche à se défaire de ses fers mais c’est une drôle d’affaire que de faire…

Après l’avoir lu, on maudit son quotidien qui nous laisse les mains sales et la nausée… Seulement voilà, lorsque l’astre solaire efface délicatement les lueurs stellaires et qu’on a la chance ou la malchance de posséder encore un minimum de sensibilité vitale, on s’agenouille, médusé, douloureusement pétri d’infini devant l’indicible et cruelle beauté de cet univers.


Souvent vous parlez de votre art comme d’autres parlent d’une ascèse spirituelle ?


Oui mais la comparaison s’arrête très vite… Je ne m’inflige ni privations, ni pénitences, ni mortifications, et ne possède pas l’héroïsme indispensable à la réussite d’une telle entreprise. Je suis un anachorète isolé au cœur d’une fête foraine qui, par orgueil, préfère se retirer des ignobles tribulations de ce monde plutôt que d’y être dissolu. C’est tout de même assez différent. Affranchi des systèmes politiques, religieux et idéologiques, je n’existe déjà plus socialement. Je ne suis qu’une goutte fourvoyée qui cherche l’océan. Mais n’est-ce pas là notre lot à tous ?...

« Que de choses il faut ignorer pour agir », remarquait Paul Valéry.

Si je m’éparpille de moins en moins, je ne cesse d’écrire et de peindre… L’ignorance me submerge…


Propos recueillis en juillet 2013 Michel Ogier


L'IMAGINAIRE CREATEUR

Né sous les bombardements, le 19 décembre 1943 à Saint-Etienne (42). A n’en pas douter, quelques éclats ont touché son inconscient. Enfant, très vite il se réfugie dans son imaginaire. « Ce que vous me proposez est beau, ce que j’imagine est sublime. » (Sade) Il n’en sortira plus !... Il passe toute son enfance à Lyon (69). En 1971, à Lausanne (Suisse), il participe à la réédition de la monographie : Leonor Fini aux éditions Clairefontaine. L’artiste peintre lui donne les clefs qu’il attendait. « A cette époque, je faisais un rêve récurrent : au sein d’une maison qui était mienne, je découvrais des pièces ignorées. L’une d’elles était la peinture. Voilà plus de trente ans que je m’y suis installé. » Autodidacte, il apprend la technique de la peinture à l’huile avec le traité de Xavier de Langlais. Pendant plus de quinze ans il peindra sans montrer, sans exposer quoi que ce soit. « A vrai dire, je n’y pensais même pas. Je voulais simplement poursuivre ma quête dans le silence et l’isolement qui m’étaient nécessaires. Je peignais pour moi, pour survivre ! Je ne voyais là aucun égoïsme, toujours étonné que mon univers puisse susciter intérêt et émotion. » Les chemins qui mènent d’un homme à l’autre ne s’expliquent pas. « La compréhension intellectuelle est un leurre. » (Pirandello) « Chaque fois que je me place devant une toile vierge, je revis le premier matin du monde. Toujours tout remettre en cause. C’est à ce prix que je peux regarder mes oeuvres sans baisser les yeux ! » « Tout aboutissement est une impasse, dans la vie aussi bien que dans l’art. On ne rejoint l’existence qu’après l’avoir niée jusqu’au bout. » (Cioran)

Quelques dates principales : 1986 Salon des Indépendants (Paris) 1987 Galerie Salammbo (Paris) ; l’Université de Paris 8 tourne une vidéo sur son oeuvre. 1989 Nomination en tant que vice-président de la Société lyonnaise des Beaux-Arts. 1991-1998 Le temps de l’ermitage. Il refuse toute exposition. 1999-2000 Exposition à l’ancien Temple de Barnave (Drôme) ; exposition collective au Château de Gruyères (Suisse) ; exposition collective à Reggio Emilia (Italie) ; exposition à la galerie du Vieux Lyon (69) ; l’association SAFIR (Société des Arts Fantastiques du Rêve et de l’Imaginaire, Paris) l’invite à rejoindre son mouvement ; Opéra Gallery (Paris) l’expose pour l’inauguration de sa galerie à Soho (New York) ; exposition à l’Egérie Véga, Vevey (Suisse) 2001 Exposition collective à la mairie du IXe (SAFIR, Paris) ; Salon des Indépendants (Paris) 2002 Exposition permanente à la Galerie Dunoyer (Saint-Paul-de-Vence). Le musée d'Art de Porto Rico acquiert une série d’oeuvres « Voyage de nuit ». Exposition collective organisée par l’association SAFIR au Manège Royal de Saint-Germain-en-Laye. 2003-2004 Recherche d’un nouveau lieu de vie pour ouvrir un espace d’exposition au public. Depuis septembre 2005, on peut voir ses oeuvres dans son propre atelier, Atelier de la Conque, Résidence Le Circé, 1 rue du Fortin, 34300 Cap d’Agde. 2008 Exposition personnelle à la salle Molière à Agde (Hérault) « Le plaisir sous l’angoisse ? L’angoisse dans le plaisir... Une parfaite maîtrise des lumières et des matières. Tordre la réalité pour mieux la révéler ? Un rêve dont il est difficile de se détacher, sans doute parce qu’il nous habitait, et nous ne le savions pas ! Merci Michel Ogier ! Vous osez, et nous y prenons plaisir. » Michel FAURE, ancien maire de Nyons et ancien vice-président du conseil général de la Drôme.



Michel Ogier, autodidacte

Artiste peintre autodidacte qui, s’il faut absolument cataloguer, pourrait être assimilé à un maniériste visionnaire.Sa technique s’apparente à l’école hollandaise. Il pratique l’art délicat du glacis et possède une maîtrise toute singulière de la lumière et de la couleur.Son œuvre est totalement imaginaire. Elle plonge dans les archétypes de l’inconscient collectif. Elle nous gratifie d’une vision lucide sur l’existence aussi lumineuse qu’insoutenable.« Ma peinture est un constat de l’état des âmes et de la situation des esprits. »Puis il ajoute : « Mais elle est aussi un passe-temps parfaitement réussi puisque ce temps qui m’est imparti, elle en dispose à plein temps ! » Il répugne à se prendre au sérieux et reste très secret sur l’analyse de son œuvre. « Les fleurs ne rêvent pas de finir dans un vase ! » Aime t-il à dire. « Ce sont le sang et les urines qu’on analyse !... »Il dit aussi : « Tout système me rebute ! » « Chaque fois que je me retrouve devant une toile vierge, j’ai l’impression de revivre le premier matin du monde… Je ne sais encore rien et le reste je l’ai oublié !... » Et de citer Paul Valéry : « Le sentiment d’être tout et l’évidence de n’être rien. »« Je ne sens rien de stable. Tout est en mouvement. Qu’une idée se fige et la putréfaction la gagne. » Il en sera ainsi de tous les chefs-d’œuvre qui peuplent la terre. On ne fait que dessiner sur le sable pour nourrir la mer et la voracité de ses vagues…« Tout aboutissement est une impasse dans la vie comme dans l’art. » E.Cioran« Bien que je sois un ermite qui connaît l’horaire des trains. » (Forain) « Je trouve dans la solitude de quoi peupler mon imaginaire et l’audace de frayer avec l’illimité. C’est justement en lui contant fleurette que j’ai remarqué, fortuitement, qu’en me plaçant hors des préjugés, c'est-à-dire en sortant de ma tour pour découvrir les fleurs de la prairie que, comme des papillons, des tas d’idées non préconçues se sont posées sur la corolle de mon cerveau. Ces idées viennent d’elles-mêmes sans que ma volonté y soit pour quelque chose. C’est une sensation bouleversante. Un baume magique sur la plaie existentielle qui me ronge ! »Ses goûts, ses influences ? Ecoutons-le : « L’inspiration qui touche à l’essentiel n’a pas d’époque. Les problèmes que la vie posait à Socrate sont les mêmes que ceux qu’elle nous pose aujourd’hui. Une œuvre quelle qu’elle soit est le résultat de tout un passé auquel nous sommes pieds et poings liés, la conjonction d’influences éducatives, sociologiques et héréditaires. Nous traînons dans notre coquille de gastéropode, tous les sortilèges et les infamies de nos ancêtres. Le silex et la massue font toujours partie de notre bagage culturel. Bien des pneus et nombres de nos compagnes peuvent en témoigner… Toute œuvre est marquée du sceau de sa propre condition. »« Il y a si peu de nous dans ce que nous faisons, nous devons tant aux autres que si, parmi eux, il me fallait dénoncer les principaux acteurs responsables de mon orientation, pour peu qu’on me torture, je risque de réciter une longue liste à jamais exhaustive.Si je devais raconter, comment je fus bouleversé devant le retable d’Issenheim où Grünewald exprima toute la douleur humaine sur le visage de la vierge et toute la compassion dont l’homme est capable sur celui de saint Jean, comment je compris la cécité du monde à Capodimonte en regardant la parabole des aveugles de Bruegel, comment le portrait que Rembrandt fit de lui à soixante-trois ans, me renvoya au naufrage de la vieillesse, pourquoi la lumière de Georges de la Tour illumine mes nuits et pourquoi le tragique de la peinture de Bacon raisonne si fort en moi, je n’en finirais pas !...Toutefois, je ne peux faire l’impasse sur celle qui m’a donné l’envie de prendre un pinceau pour m’exprimer, Leonor Fini. Celle qui disait de ses toiles qu’elles étaient une soumission à l’inconscient qui est la seule liberté possible ! Celle qui peignit l’enroulement du silence, Héliodora, Vesper Express, Ea, Hécate, la perle, les aveugles, Voyageurs en repos, les carcans, Voyage sans amarre, Escarpolette, Au hasard des vents profonds et les quatre somnambules à l’âge de 87 ans… Que d’enfants nous a-t-elle laissé, elle qui répugnait instinctivement à la maternité physique.Son œuvre trouva immédiatement un écho dans la structure de mon moi. Ce désir en suspens accroché au cœur du mystère. Cette unification de la vie et de la mort, de l’horreur et du sublime. Cette nécessité viscérale d’absolu, de pousser les choses toujours plus loin, de brouiller la morale hiérarchisante, femme, homme, animal, végétal, minéral.Certains ont voulu la présenter comme une sorcière maléfique. Pensez, une femme souverainement autonome, hors de leurs plates-bandes, hors de leurs institutions, ne se laissant enfermer dans aucun mouvement, ça dérange. Je ne pouvais qu’être séduit !... Je le fus et le reste ! » Michel Boud'huile


Que pense Michel Ogier de l"impensable ?

  • Rompez les amarres en lisant "Hors du cadre", un essai de Michel Ogier

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Peintre de l"incertitude

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michelogier
Cap d'Agde, Hérault (34300), France
J’ai chu c’est certain et plutôt que de me débattre pour en sortir, je m’y suis installé. Or, lorsqu’on regarde le quotidien des hommes du fond de cet abysse on ressent le mal des profondeurs, ce vertige à l’envers. Une part importante de mon inspiration doit venir de là car je ne parviens que très rarement à m’en extraire. Du fond de ce questionnement essentiel, du fond de ses ténèbres on perçoit, tout en haut, une faible lumière qui décuple encore davantage notre envie de la connaître. Comme un boomerang, mon inspiration part d’un questionnement et y revient. Ma peinture est l’histoire de sa trajectoire. Cette révolution de mon interrogation est sidérante. Je suis sidéré de chercher sans relâche jusque dans les contingences journalières les plus banales, les traces de cette poussière d’étoile dont nous sommes issus. Mon inspiration plonge ses racines dans la nostalgie de la lumière première qui, comme l’écho du big bang, quinze milliard d’années plus tard continue à emplir le vide cosmique. Elle est aussi inépuisable que le sont les particules qui me composent. Seul l’anéantissement de mon énergie y mettra fin…
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